Dans les foyers pour mineurs le confinement est particulièrement mal vécu. Surtout en centre ville, quand les structures d’accueil n’ont pas de terrains. Sur place, les éducateurs sont de moins en moins nombreux, avec des tâches qui se multiplient. Sans protection pour lutter contre le Coronavirus.
En cette période de confinement, la protection de l’enfance se sent délaissée. Les mineurs isolés sont oubliés. Le devoir des professionnels est toujours de les protéger. Une protection qui s’annonce de plus en plus compliquée. Jean-Louis Losson est délégué régional de la CNAPE Midi-Pyrénées dont la mission est de protéger les mineurs. Pour lui, ce confinement peut engendrer une hausse des maltraitances.
La protection de l’enfance s’occupe de deux types d’intervention. Soit l’enfant est placé dans une MECS (maisons d’enfants à caractère social) ou en famille d’accueil, soit il est maintenu à domicile et un éducateur référent s’y rend physiquement pour donner des conseils aux parents. Dans ce dernier cas, la mission est devenue impossible. Les parents sont en contact permanent avec leurs enfants, qui n’ont plus école.
Selon Jean-Louis Losson : l’école est vecteur d’instruction mais c’est aussi le moment où l’enfant est pris en charge par d’autres personnes que les parents. On est inquiet en ce qui concerne les carences éducatives. Certains parents ne sont pas en mesure de prendre en charge leur enfant au quotidien. Cela peut générer des tensions, et de la maltraitance.
Résultat, les appels téléphoniques sont devenus encore plus fréquents que les visites habituelles à domicile. Dans les situations d’urgence ou de danger identifié, les entretiens physiques restent privilégiés :
On continue à exercer nos missions pour empêcher la maltraitance mais dans des conditions qui ne sont pas simples. Les professions de la protection de l’enfance sont mises à rude épreuve. Et les familles d’accueil sont en première ligne.
Moins de personnels, plus de tâches
Miloud Sallaye travaille douze heures pas jour. Il est éducateur dans le centre éducatif Albatros à Cornebarrieu près de Toulouse. Douze mineurs âgés de 15 à 18 ans placés par la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) y sont confinés. La plupart d’entre eux sortent de prisons pour mineur. L’objectif de l’Albatros est de les réinsérer dans la société, dans la vie active. Une procédure à l’arrêt en cette période de confinement, que les jeunes ont du mal à vivre.
Habituellement, le centre de Cornebarrieu comptabilise une dizaine d’éducateurs. En ce moment, ils ne sont que quatre. Quatre à gérer le confinement des jeunes qui sortent à peine de détention. Quatre à devoir les occuper. Quatre personne qui travaillent sans masques, ni gants. Miloud Sallaye raconte les difficultés à faire respecter le protocole établit dans ce contexte de Covid-19 :
Un jeune est rentré dans sa famille pour ce confinement mais ça s’est très mal passé. Il a dû rentrer au centre mais n’acceptait pas les nouvelles règles sanitaires. On a dû le transférer ailleurs pour protéger les autres mineurs.
A l’Albatros, toute sortie d’un jeune à l’extérieur est considérée comme une fugue. A l’intérieur, les éducateurs proposent des jeux de société, un terrain a même été aménagé par le personnel pour que les mineurs puissent jouer au foot. Pour l’heure, impossible de faire du suivi professionnel. Le rôle de Miloud Sallaye se résume à de l’animation et du sanitaire.
Cet éducateur spécialisé tient le coup, pour le moment. Cette semaine, il avait posé ses congés. « Mais je suis réquisitionné pour aider les collègues et ne pas laisser tomber les jeunes. Ils ont besoin de présence humaine« . Une solidarité évidente, pour Miloud Sallaye, qui se dit néanmoins épuisé :
Il y a des moments de tension, qu’on essaie de gérer au mieux.
Pour faire face aux sous-effectifs dans les structures d’accueil dédiées aux mineurs, le secrétaire d’Etat chargé de la protection de l’enfance fait appel aux volontaires :
Le Président @EmmanuelMacron l’a dit : la situation que nous vivons est l’occasion d’inventer de nouvelles solidarités.
Envie de soutenir les professionnels de la #ProtectionDeLEnfance face à la crise du #Covid_19 ?
Rdv sur la plateforme citoyenne : https://covid19.reserve-civique.gouv.fr
Rester chez soi quand on n’est pas chez soi
Si certains mineurs de la protection de l’enfance peuvent profiter des espaces verts de leur centre, d’autres sont enfermés dans des immeubles en plein centre ville. C’est le cas de la MECS (maison d’enfants à caractère social) Transitions, située entre Rangueil et Saint Michel à Toulouse.
En plus du coronavirus, le directeur de cette structure, Benoit Sanchez, craint des violences entre les quinze adolescents, âgés de 15 à 18 ans, placés ici par des juges ou par l’aide sociale à l’enfance. Pas de terrains où ils peuvent se défouler :
On ne peut pas emmener les jeunes en bord de mer ou dans la forêt comme on le faisait habituellement, précise Benoit Sanchez.
Deux mineurs sont sortis « prendre l’air », ils ont eu une amende chacun. « 135 euros quand vous avez 20 euros d’argent de poche … on est pas tous égaux devant une règle » déplore Benoit Sanchez. « Chacun dans sa chambre, confiné H24, c’est impossible« , souligne le directeur, qui a mis en place « un protocole très strict de désinfection, notamment des parties communes« .
Les parents peuvent toujours rendre visite aux enfants, mais dans leur chambre uniquement. « Les grands sont encore plus inquiets que les plus petits« , ajoute le directeur.
Ils ont des inquiétudes qu’on doit prendre en charge avant qu’elles ne se transforment en traumatisme par la suite, raconte Benoit Sanchez.
Il note en revanche une solidarité entre les associations, et un investissement du personnel restant (33% sont en arrêt). Les uns ramènent des gels hydroalcooliques, les autres des ordinateurs portables pour que les jeunes puissent suivre leurs cours. Dans ce foyer, seulement deux ordinateurs sont disponibles. Les éducateurs sortent leur casquette de professeur. Et pour les mineurs qui cherchaient du travail, leurs recherches sont bloquées, la mission locale a fermé.
Le directeur s’inquiète de la suite des évènements. Si les Français doivent rester chez eux, les mineurs en MECS ne sont pas chez eux. « Ils vont nous le faire payer par des comportements, des postures, des exigences« . Benoit Sanchez s’inquiète que les mineurs prennent l’habitude des souplesses installées pendant ce confinement. Ils sont, pour l’instant, autorisés à se lever et se coucher plus tard. « Il faudra leur ré-expliquer le retour aux anciennes règles » affirme le directeur, préoccupé par de possibles nouvelles fugues après cette crise sanitaire.
Benoit Sanchez travaille toujours. La protection des mineurs a besoin de lui. Et ses propres enfants ont du mal à comprendre qu’il continue à s’occuper davantage des enfants des autres.
Des nouveaux problèmes à gérer pour les associations de protection de l’enfance
Ades Europe est une structure qui s’occupe de douze établissements différents, tous dédiés à la protection de l’enfance, dans les départements du Gers, de la Haute-Garonne, de l’Ariège et des Hautes-Pyrénées.
Nicolas Gaddoni est le directeur de cette structure d’encadrement. Parmi les centres qu’il coordonne, les hébergements d’urgence l’inquiètent particulièrement. Cette période de confinement engendre des changements drastiques. A commencer par les horaires. En temps « normal », les hébergements d’urgence destinés aux mineurs sans domicile fixe les accueillent de 18 heures à 8 heures du matin. Désormais, ils sont ouverts 24 heures sur 24. « C’est tout le temps ouvert, mais avec du personnel en moins ! » précise le directeur d’Ades Europe.
25% du personnel ne travaillent pas, restant à leur domicile pour garder leurs enfants ou pour des arrêts maladies, détaille Nicolas Gaddoni.
Le directeur d’Ades Europe déplore le manque d’équipement sanitaire (masques, gels) face à ce « public très sensible« . De plus, il s’inquiète de possibles « passages à l’acte violents« . Il donne l’exemple d’un mineur toulousain qui est sorti malgré le confinement, et s’en est pris aux policiers qui le contrôlaient en les insultant. Il s’est retrouvé en garde à vue.
On a aussi les enfants avec des addictions sévères à l’alcool ou à la drogue qui se retrouve en sevrage forcé. Ca va être très difficile à gérer, détaille Nicolas Gaddoni.
Les professionnels de la protection de l’enfance font partie des métiers où le télétravail est impossible. Les mineurs en danger ont besoin d’eux, tout le temps.
A quand l’applaudissement des travailleurs sociaux ?
Nicolas Gaddoni, directeur de la structure associative Ades Europe remarque un personnel social démotivé. « On ne parle pas du tout de nous. Certains sont dans l’urgence sociale, ceux qui aident les sans domicile fixe par exemple. Et nous n’avons pas du tout de quoi nous protéger« . Dans un communiqué, la CNAPE (fédération nationale d’associations qui accompagnent et accueillent les enfants, adolescents et jeunes adultes en difficulté) s’inquiète : « les professionnels de la protection de l’enfance sont au front et cependant bien désarmés« . A défaut d’obtenir du matériel sanitaire et d’interpeller le gouvernement, la CNAPE espère au moins attirer la reconnaissance des Français et appelle à un applaudissement général, au même titre que pour le personnel soignant.