JUSTICE PÉNALE DES MINEURS

Entretien avec Anne Dufour, directrice du centre éducatif Albatros – ADES EUROPE

POUVEZ-VOUS NOUS PRÉSENTER CE CENTRE ?

Le centre éducatif Albatros est un service habilité justice d’accueil en hébergement diversifié de douze mineurs de 16 à 18 ans. La plupart d’entre eux sort d’incarcération, majoritairement d’établissements pénitentiaires pour mineurs et de quartiers mineurs de Montpellier, Perpignan et Lavaur. Les faits à l’origine de leur placement peuvent être des vols alimentaires, des reventes de cigarettes, des vols avec violences ou sous menace d’une arme blanche.

Depuis 2017, le nombre de mineurs non accompagnés (MNA) accueilli est en augmentation. En 2020, ils étaient dix huit sur les trente jeunes pris en charge. Le projet d’établissement a ainsi été adapté pour mieux prendre en compte leurs spécificités.

QUELLES SONT CES SPECIFICITÉS ?

D’une manière générale, 90% des MNA accueillis sont issus du
Maghreb. 80% ne sont pas passés par un dispositif d’évaluation de l’isolement et de la minorité, et/ou ne disposent pas de tutelle de l’Etat.
Sans ressources,1/3 d’entre eux ne parle pas français à leur arrivée dans le centre et n’est donc pas en mesure de comprendre ce qui est expliqué, sans l’aide d’interprète. Ils sont majoritairement en très mauvaise santé, c’est pourquoi l’une des priorités du centre est de prendre très rapidement des rendez-vous médicaux.

Il n’est pas rare de programmer des opérations suite à des blessures antécédentes au placement. Pour certains jeunes, les addictions et les troubles psychiques conduisent à des passages à l’acte nécessitant l’intervention de soins aux urgences hospitalières ou psychiatriques. En 2020, 20 % d’entre eux souffraient d’addictions sévères à différents types de médicaments, à l’alcool ou à des drogues dures. Enfin, 2/3 n’ont pas de CMU à leur arrivée ou elle est périmée.

Concernant leur insertion sociale, professionnelle et administrative, les jeunes MNA arrivent en moyenne autour de leur 17ème année, ce qui laisse peu de temps pour construire une relation et les accompagner dans un parcours scolaire et/ou professionnel. Cela rend également difficile la réalisation des démarches d’obtention d’un titre de séjour, d’où Entretien avec Anne Dufour, directrice du centre éducatif Albatros – ADES EUROPE la nécessité de pouvoir poursuivre l’accompagnement jusqu’à leurs 21 ans.
Le collectif pèse sur eux encore plus que pour le reste du public accueilli. Chaque année, de nombreux jeunes fuguent plusieurs jours ou semaines en début de placement et demandent ensuite à revenir. Le centre garde de la souplesse pour les réadmettre, après des fugues ou un premier échec de prise en charge.

QUELLES MODALITÉS AVEZVOUS MIS EN PLACE POUR MIEUX ACCOMPAGNER CES JEUNES ?

Au fil des années, plusieurs axes de travail ont été privilégiés.
D’une part, la prise en compte des psychotraumatismes. Les MNA ont vécu plusieurs traumatismes, parfois en amont de leur parcours migratoire. Or, tout enfant ne peut s’épanouir et avoir accès aux apprentissages que si ses besoins primaires (de sécurité et physiologiques) sont pris en compte. Du fait de leur parcours migratoire, ils ont acquis une maturité et une certaine défiance vis-à-vis des systèmes sociaux d’accompagnement. Le centre Albatros a repensé l’accompagnement autour des éléments suivants :

  • la mise en valeur de la notion de respect : respect individuel, des espaces, des biens et des personnes. Une attention est portée sur la présomption de leur capacité à s’occuper d’eux-mêmes. Le centre ne leur propose pas de l’aide mais un accompagnement;
  • la mise en valeur du projet individuel au sein d’un petit collectif. Chacun va à son rythme, avec ses compétences, appétences et projets de vie. Il est nécessaire de respecter le collectif mais il n’y a pas d’obligation collective (possibilité de prendre ses repas dans une fourchette horaire, les activités collectives ne sont pas obligatoires mais sont basées sur de la libre adhésion, etc.);
  • la mise en place d’un espace où le jeune se sent en sécurité avec une possibilité d’accès à de la nourriture, à une chambre individuelle, à des espaces de parole, de création et de négociation.

D’autre part, l’alimentation est utilisée comme un outil éducatif de mise en relation et d’apaisement. Les jeunes accueillis connaissent d’importantes carences du fait de longs ou de multiples parcours d’errance. En défiance et en insécurité, ils ne peuvent accéder aux apprentissages et à la citoyenneté. Le centre leur offre avant tout un lieu d’accueil, « comme à la maison ».

La cuisine est accessible, les jeunes peuvent se préparer leur repas. Le frigo est accessible en journée pour les encas, qu’ils soient de nature physiologique ou psychologique pour répondre à une angoisse. Un travail de médiation éducative s’effectue par le biais de l’accès à l’alimentation. Ces temps formels ou informels permettent à l’éducateur de créer un espace de parole et de sens. Les repas ne sont plus une obligation mais un désir de partager.

Et ces jeunes y sont particulièrement sensibles. Cet outil de médiation est à reconnaitre et à prendre en compte dans le budget comme une aide à l’apaisement et à l’insertion sociale. Le travail d’accompagnement éducatif est conséquent.

Les résultats sur l’activité sont réels. Les jeunes, se sentant accueillis et sécurisés, peuvent investir le placement et respectent davantage les lieux et les personnes présentes. Enfin, le centre Albatros a recours à la médiation animale dans la relation entre les jeunes et les professionnels. La présence de l’animal sur le site permet un apaisement des tensions, de prendre soin de soi au travers du prendre soin de l’autre.

Elle offre au jeune un sentiment de « chez soi » et l’aide à se poser au sein du centre qui devient un lieu d’ancrage pour se reconstruire. Elle permet aussi d’ouvrir des « espaces de parole ». Enfin, l’animal donne aux jeunes le souhait de revenir vers le centre, soit après une fugue ou leur prise en charge.

ET POUR LA SUITE ?

L’accueil de MNA au pénal nécessite de repenser l’accompagnement éducatif actuellement souvent proposé, pour s’adapter aux spécificités qui sont les leurs. Pour ce faire, il est important que les projets des structures soient soutenus par la protection judiciaire de la jeunesse et qu’elle donne aux établissements un réel pouvoir d’agir.

Les modalités de travail au centre Albatros sont d’une très grande richesse qu’il convient de préserver. Par ailleurs, un tel fonctionnement impacte nécessairement certaines lignes budgétaires. Le passage en dotation globale permettrait d’ajuster encore davantage l’accompagnement proposé.

Il conviendrait également de développer les liens partenariaux au niveau national avec les agences régionales de santé, l’Education nationale et les services d’accès à la formation et à l’emploi pour faciliter le travail des structures au niveau local. A titre d’exemple, les liens avec les services de pédopsychiatrie ou de psychiatrie sont insuffisants. Le centre et les services de gendarmerie se trouvent démunis lors des crises des jeunes souffrant de troubles psychiques non encore reconnus par l’agence régionale de la santé, et/ou d’addictions sévères.

Article rédigé et tiré du magasine FORUM de la CNAPE. Tous droits réservés.

Article original disponible sur : https://www.cnape.fr/documents/forum/