Près de Toulouse, une structure rare, habilitée protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), accompagne des jeunes de 16 à 18 ans en alternative à l’incarcération. Ouverture, recherche de l’adhésion, remobilisation socio-professionnelle : l’équipe éducative dispose de quelques mois pour éviter la récidive et parvenir à l’insertion. [Ce reportage a été réalisé avant le confinement (1)]

Un corps de ferme typiquement toulousain, portail ouvert, le long d’une route passante de Cornebarrieu, près de Toulouse. Juste à l’entrée, la porte du bureau des éducateurs s’ouvre et se referme à toute heure.

Au mur, l’emploi du temps des jeunes accueillis s’affiche sur un grand tableau blanc. Certaines cases sont bien remplies, d’autres vides. Chacun son rythme

Le centre éducatif expérimental Albatros occupe un corps de ferme typiquement toulousain, à Cornabarrieu.Claire Burgain/SapienSapienS pour Le Media social

Le centre éducatif expérimental emprunte son nom au « voyageur ailé » de Baudelaire, l’albatros, incompris des siens, en proie à l’exil et la solitude, entre deux mondes.

Un écho à la situation des jeunes accompagnés ici, entre sortie de délinquance et réinsertion, solitude de l’exil et intégration en France, entre enfance et âge adulte, tumulte intérieur et horizon de l’apaisement.

Des garçons de 16 à 18 ans

Créé en 2004 par l’association éponyme, il a été repris en 2014 par Ades-Europe qui gère plusieurs établissements en Occitanie, de la maison d’enfants à caractère social (Mecs) jusqu’au centre éducatif renforcé (CER). Dès l’origine, ce centre habilité par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) a pour vocation d’accueillir des garçons de 16 à 18 ans en alternative à l’incarcération.

À l’origine, un esprit « militaire »

Au départ toutefois, il est fondé dans un esprit « un peu militaire, à l’image de l’Epide (NDLR: établissement pour l’insertion dans l’emploi) », raconte Anne Dufour, l’actuelle directrice.

Respect d’un règlement intérieur rigoureux, horaires imposés pour le réveil et les repas, accueil indifférencié. « Mais passer de la vie à la rue vers un fonctionnement collectif, pour des jeunes déscolarisés et sans repères, générait beaucoup de violence », décrit-elle.

Anne Dufour est la directrice du centre, géré depuis 2014 par Ades-Europe.Claire Burgain/SapienSapienS pour Le Media social

Place à l’accueil individualisé

Lorsqu’Ades-Europe reprend la gestion du centre, un virage à 180° est pris par l’équipe éducative. Finis l’éducation par les interdits, les punitions, le détachement affectif: place à l’accueil individualisé dans une structure ouverte qui se veut bienveillante.

« Je ne vois pas comment on peut susciter l’adhésion d’un jeune qui n’a que quelque mois pour s’en sortir, sans soutien familial, en le confrontant à une règle bête et méchante comme donner seulement trois cigarettes par jour », s’interroge Sébastien Fraissenon, chef de service éducatif.

Une transition non sans douleur

En peu de temps selon lui, l’atmosphère change. « On est passés d’un endroit où ça hurlait, ça tapait – j’ai même vu un lit en flammes passer par la fenêtre – à un climat très différent ».

Une transition non sans douleur en interne: certains éducateurs quittent l’établissement, une nouvelle équipe est recrutée. « C’était compliqué, mais j’ai l’habitude », raconte celui qui a fait un temps ses armes professionnelles en Guyane, « où c’était beaucoup plus complexe ».

Sébastien Fraissenon, chef de service éducatif, a vu l’atmosphère s’apaiser rapidement, suite au changement des règles en vigueur.Claire Burgain/SapienSapienS pour Le Media social

Admissions préparées ou immédiates

Le centre comprend neuf places dans le corps de ferme, et depuis 2016 trois places en studio de semi-autonomie. Les jeunes arrivent à l’âge de 17 ans en moyenne et sont placés ici pour six mois ou plus. Certains ont été incarcérés ou placés en centre éducatif fermé (CEF), leur admission est donc préparée en amont. D’autres arrivent en admission immédiate après une garde à vue.

Le centre reçoit jusqu’à deux appels par jour, notamment pour des accueils relais le week-end. Il est ouvert 24h/24h, avec huit éducateurs qui tournent à deux le matin, deux l’après-midi jusqu’à 23h, et un surveillant de nuit. Depuis quelques années, il accueille une majorité de mineurs non accompagnés.

Respect des lieux et des personnes

Ouverture ne veut pas dire absence de règles. Les sorties le soir ne sont pas autorisées en début de placement, et le respect du lieu, des personnes, des animaux, dont le chien Max et les poules, est requis. « Notre volonté, c’est d’abord de créer du lien avec eux. Ils savent qu’ils peuvent repartir mais qu’ils courent le risque de rejoindre un foyer plus coercitif, donc nous recherchons l’adhésion », décrit Anne Dufour.

L’accueil est un moment sensible, le jeune doit trouver ses marques et les éducateurs des accroches avec lui. Le projet individualisé est travaillé avec le référent, et le jeune doit a minima, dans un premier temps, participer au ménage, en cuisine, à un atelier.

Des ateliers pour remobiliser

Majid, ici en atelier, confectionne des nichoirs à oiseaux avec l’éducateur technique, Jim Goupilleau.  Claire Burgain/SapienSapienS pour Le Media social

Majid* vit ici depuis un an et demi. Il a déjà effectué plusieurs stages longs, en mécanique, en soudure. « Je me sens bien ici, c’est comme ma maison, je suis en sécurité », décrit-il.

Ce matin-là il confectionne des nichoirs à oiseaux avec l’éducateur technique, Jim Goupilleau, un des anciens salariés qui propose des ateliers mécanique, menuiserie, maraîchage et entretien du jardin de 6000 m2 attenant au centre.

Je me sens bien ici, je suis en sécurité

Majid

« Je leur apprends à calculer, mesurer, retrouver un minimum de confiance en l’adulte. L’air de rien beaucoup reviennent nous voir plusieurs années après: l’un a obtenu le permis d’ambulancier, l’autre est devenu infirmier… alors que personne ne voulait d’eux au départ ».

Sur l’évolution du centre, il reste circonspect. « Avant c’était psychorigide, mais là c’est trop: il faudrait remettre certaines règles, des horaires, notamment pour le déjeuner. Mais bon, je suis d’une autre génération et pas vraiment écouté ».

« Ne pas laisser le vide s’installer »

Les éducateurs (Ghani Khemmar, au premier plan, et Mimouni Lahouari au second plan), ici avec Majid, font leur maximum pour mobiliser les jeunes.Claire Burgain/SapienSapienS pour Le Media social

Anne Dufour maintient que les résultats sont là: malgré l’absence d’horaire imposé pour le repas, beaucoup les prennent ensemble. Et, oui, certains consomment toujours du cannabis pour oublier un parcours migratoire parfois très violent. « Notre travail consiste aussi à en parler avec eux et faire diminuer leur consommation ». Quant aux fugues, il y en a, elles sont signalées et « travaillées » en équipe.

Quelques mois pour se réinsérer, c’est court. Les éducateurs font leur maximum pour les mobiliser: socialement d’abord, avec l’accès aux loisirs, l’inscription à des clubs sportifs. « Il ne faut pas laisser le vide s’installer et toujours les occuper, sinon c’est la débauche », décrit Ghani Khemmar, éducateur.

Un manque de structures d’insertion

Mais le plus difficile reste l’insertion scolaire ou professionnelle, malgré le travail avec de nombreux partenaires: mission locale, centre d’information et d’orientation (CIO), centres de formation des apprentis (CFA), etc.

« Il existe très peu de dispositifs d’insertion pour eux, notamment pour les mineurs non accompagnés car l’absence de papiers rend leur situation très compliquée », décrit Mimouni Lahouari, éducateur. Il active en permanence son réseau composé de plombiers, bouchers ou coiffeurs pour leur trouver des stages longs, ainsi qu’une association pour la régularisation de leur situation administrative.

Un stagiaire assidu

Depuis novembre, Mehdi effectue un stage à Dogart, une petite entreprise de confection de muselières, harnais et laisses pour chiens.Claire Burgain/SapienSapienS pour Le Media social

Depuis novembre, Mehdi* se rend assidûment à Dogart, une petite entreprise de confection de muselières, harnais et laisses pour chiens qui compte parmi ses clients, ironie de l’histoire, la police nationale et municipale.

« Je connaissais le veilleur de nuit du centre, il me l’a recommandé. Mehdi est toujours à l’heure, rigoureux, a envie de bien faire, c’est un bon gars », décrit Olivier Prevot, chef d’entreprise. Il a même trouvé une école dans le Tarn où Mehdi pourra effectuer un contrat d’apprentissage… s’il obtient les papiers nécessaires.

Des studios de semi-autonomie

Pour ceux qui peinent à vivre en collectivité, ne pourront pas rentrer dans leur famille ou sont bien insérés en formation, le centre dispose de trois studios.

« Nous partageons un repas avec eux au moins une fois par semaine et nous restons constamment en lien téléphonique, décrit Élise Boulp, éducatrice. Ils ont besoin de soutien dans leur accès à l’autonomie pour les démarches administratives, l’alimentation ou la gestion de la solitude ».

Les jeunes accueillis ont besoin de lien et d’un soutien à l’autonomie, souligne Élise Boulp, éducatrice (ici sur le seuil d’une chambre du centre).Claire Burgain/SapienSapienS pour Le Media social

Stable, avec peu d’arrêts-maladie et d’accident du travail, l’équipe éducative est composée d’éducateurs spécialisés, mais aussi de moniteurs éducateurs et d’éducateurs sportifs.

« C’est un travail très difficile qui demande une grande réactivité. Ce qui fait le plus de dégâts, c’est le doute. Ce métier exige d’être confiant en sachant qu’on peut se tromper. Vous voyez le paradoxe», décrit Sébastien Fraissenon.

Anticiper les fins de placement

Un doute qui peut s’installer quand un jeune qui allait bien commence à tout lâcher, quand les fugues se répètent, ou quand son avenir reste bien incertain faute de solution d’insertion. Il faut aussi tenir le cap dans une société qui tend à dévaloriser sa jeunesse et devient plus répressive à l’égard des mineurs récalcitrants.

Que deviennent ces jeunes? Comme le début, la fin de placement est un moment sensible qui doit être bien préparé. « Un retour sec dans la famille peut ruiner un travail de six mois », relève Anne Dufour, notamment pour les jeunes pris dans des réseaux de trafic de stupéfiants. Souvent, l’équipe demande un prolongement du placement ou travaille la sortie avec d’autres partenaires

Des parcours réussis

Des structures d’apprentissage adaptées au niveau scolaire de ces jeunes à et leurs besoins font toujours cruellement défaut.Claire Burgain/SapienSapienS pour Le Media social

« Certains ne font que passer, nous n’avons pas le temps de construire de lien. C’est plus rare désormais, car seulement une vingtaine de jeunes sont accompagnés par an, ce qui montre une stabilité », indique-t-elle. Soulignant que certains parcours sont « très réussis » et que la création d’un service de suite leur permettrait « de ne pas se retrouver pas tout seuls ».

La refonte actuelle de la justice des mineurs? « Elle a été réformée soixante fois, cela ne changera pas grand-chose pour nous », balaie Sébastien Fraissenon. En revanche, il attend la création de structures d’apprentissage adaptées au niveau scolaire de ces jeunes, et surtout à leur rythme et leurs besoins, qui font aujourd’hui cruellement défaut. Avec ses grandes ailes, le plus difficile pour l’albatros reste de prendre son envol.

(*) Les prénoms ont été modifiés.

(1) Notre journaliste a également sollicité l’équipe d’Albatros pendant le confinement, pour cet article, à lire ou relire ici : « PJJ et protection de l’enfance : la difficile gestion du confinement ».

CONTACT : Anne Dufour, 05 34 52 81 60

Article rédigé par Laetitia DELHON, Le Média Social.